chapitrois

A Canelle. Je t'aime, ma Chérie.

 

 

Une nuit sans lune s'étendait sur les plaines de Mulgore. Avec pour seuls témoins les étoiles, elle se faufila entre les tipis et entreprit de rejoindre le cimetière où tout tauren pouvait se recueillir sur la tombe de ses ancêtres. Elle heurta un panier qui se renversa, déversant sur le sol les pommes qu'il contenait. Retenant son souffle, se maudissant de sa maladresse, elle se tint tapie dans un coin d'ombre, tandis que Tregor Main-de-Terre, le maraîcher, sorti de son tipi et, voyant le panier renversé, grogna un avertissement incompréhensible à l'adresse des fouines et voleurs nocturnes. Il ramassa ses pommes et rentra chez lui, tout redevant calme dans le village.

La jeune taurene poussa un soupir de soulagement, et sans un bruit, se glissa dans les hautes herbes. Seule sa queue, battant l'air joyeusement par dessus la lisière de l'herbe, aurait pu la trahir, mais encore fallait il que quelqu'un regarde dans cette direction, et que ce quelqu'un ai de bon yeux pour la distinguer.

Ainsi, à quatre pattes, elle arriva enfin au cimetière, un lieu de recueillement où s'étendaient de nombreuses sculptures et poteries, cadeaux des vivants aux braves tombés. Cependant, aucun corps ne gisait ici. Conformément aux rites taurens, les dépouilles étaient brûlées sur le lac Taureau-de-Pierre, permettant ainsi à leur âme de communier avec la Nature.

S'asseyant sur son arrière-train, elle resta ainsi, assise dans le silence, avec le clapotis de l'eau du lac pour seule compagnie. Elle aurait aimé savoir quoi dire, quoi faire. Elle savait que loin de Mulgore, des prêtres dévoués à la lumière priaient les morts, mais rien dans la culture taurene ne permettait de leur parler ainsi.

Aussi resta t'elle là, le manteau sombre et piqueté d'étoiles de la nuit laissant la place aux traînées d'argent qui annonçaient le proche lever du soleil. Et alors qu'elle s'apprêtait à retourner à son tipis, déçue d'avoir ainsi laissé passer sa chance de se recueillir, quelque chose bougea devant elle. 

Surprise, elle se redressa, tous les sens en alerte, mais ne vit rien. Un chuchotement parvint à ses oreilles, aussi léger que le souffle du vent, suivit d'une brume qui semblait se condenser devant elle.

Elle se frotta les yeux, croyant en un rêve, mais la vision ne s'altérait pas. Au contraire, elle s'opacifiait encore, jusqu'à ce qu'un immense tauren, bien plus haut que Gavrogh lui même, apparaisse devant elle.

Il avait le poil noir et luisant, des cornes épaisses et recourbées en un air de défi, un mufle renfrogné, mais, par dessus tout, ce que Naholia vit, ce furent ses grands yeux clairs emplis d'amour, et qui semblaient la regarder. Les larmes lui roulèrent sur les joues tandis qu'il se penchait vers elle pour les essuyer.

Elle glissa ses mains d'enfant dans son cou, et enfoui son mufle dans la fourrure douce. Il l'a souleva de terre, la prenant dans ses bras, et posa son front sur celui de l'enfant. Il était froid, et pourtant, la chaleur émanait de lui tandis qu'il lui caressait la crinière avec tendresse.

- Père? Osa t'elle faiblement avancer.

Pour toute réponse, le chuchotement retentit, plus puissant qu'auparavant. Et elle comprit.

Elle l'enserra plus fort, laissant couler librement les larmes sur ses joues, tandis qu'il la berçait dans le silence uniquement troublé par le chuchotement persistant.

Au bout de quelques minutes dont ils savourèrent chaque instants à deux, il la déposa sur le sol et la regarda dans les yeux, semblant lui parler par de simples regards. Il remua sa lourde tête, faisant luire ses cornes sous la lumière des étoiles, tandis que ses yeux trahissaient une question muette.

Elle acquiesça d'un mouvement de tête tandis que les ombres s'étendaient autour d'elle, noires, absolues. Le chuchotement s'intensifia, elle pouvait presque en comprendre les paroles tandis qu'elle se sentait tomber, le souffle coupé par la vitesse. Les secondes s'égrenaient, et elle tombait encore. Jusqu'à ce que la main de son père n'enserre la sienne. Alors, l'air cessa de filer sur sa peau. Et enfin, elle s'arrêta, en suspension dans le néant.

Cligner des yeux n'y changeait rien, la nuit la plus noire avait pris possession de cet endroit étrange. Elle se sentit voguer sur une mer invisible, prise de sensations divergentes, tantôt heureuses, tantôt tristes. Et tout s'éclaira. 

Elle vivait en un millier d'endroits, réchauffée par le soleil, la sève courant en elle tandis que s'étendaient sur le monde ses racines démesurées. Elle Vivait, comme jamais elle n'avait vécu.

Elle vit l'âge des dragons et l'âge des elfes... Elle vécu les grandes batailles contre la Légion Ardente, tandis qu'Alliance et Horde ne formaient qu'un.

Elle était un arbre, et touchait à leur conscience millénaire.

Elle pleura lorsque plusieurs d'entre eux furent brûlés, que d'autres furent tranchés... Chaque coup de hache lui causait plus de souffrance que n'importe quel coup physique.

Elle ri quand le vent, en une danse frénétique et effrontée, la fit ployer.

 

L’obscurité retomba comme un voile. Une sensation de tristesse et de grand vide s’insufflèrent en elle tandis qu’elle ouvrait les yeux. Le chuchotement s’était amplifié et éclaircit, et elle en comprit distinctement les paroles.

«Tremble-Terre»

Ces mots résonnèrent en elle, la faisant frissonner. Son père l’étreignit, posant sur son front un doux baiser. Bien qu’aucun mot ne le lui commanda, elle su alors ce qu’elle devait accomplir. Dans son esprit se bousculaient des images de lieux, connus et inconnus, s’entremêlant tandis qu’une silhouette immense se dressait sur le monde.

«A la Pierre des Séléniens… Naissance des Terres de Feu… T’attendra Lunegriffe, détenteur du pouvoir… Prouve… Ta Valeur…»

Les mots s’effaçaient, devenaient indistincts, tandis qu’elle reprenait conscience. Elle sentit la chaleur de son père la quitter, et elle s’accrocha de toutes ses forces aux dernières sensations, refusant de le perdre une nouvelle fois. Et tandis qu’elle murmurait son nom en un dernier appel, la terre, dans un grondement féroce, trembla.

Alors, elle s’éveilla. Son corps lui semblait lourd, sa respiration était haletante. Nulle trace de son père, nulle trace de quiconque d’ailleurs. Elle eu l’impression d’être le dernier être vivant, tandis que la terre continuait de gronder, et que la surface du lac était ridée en un écho clapotant.

Elle se leva, sautant sur ses sabots, avec en tête les images que son père lui avait confié. Elle savait. Elle savait où aller, elle savait que faire. Et même si tout lui semblait encore flou, comme à travers le voile d’un rêve, elle était consciente qu’elle devait le faire.

Aussi, quand vint  le moment de bifurquer vers le village, préféra t’elle continuer tout droit, et longer la route qui menait aux Tarides.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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